7/20, 4/20, 15/20…
Ces chiffres qui jalonnent le parcours scolaire des élèves ne sont pas de simples indicateurs de performance.
Derrière leur apparente objectivité, ils cachent un système qui, jour après jour, façonne – et trop souvent fragilise – l’estime de soi des jeunes.
Ces blessures demeurent parfois jusqu’à l’âge adulte.
En tant que psychologue et ancienne enseignante en primaire et au collège, j’ai observé les effets dévastateurs du système de notation sur la construction identitaire des élèves.
Ce constat invite à réinterroger la place des notes dans notre système éducatif.
La note : un instrument de mesure biaisé
Les recherches en psychologie sociale le montrent clairement : la notation n’est pas aussi objective qu’elle en a l’air.
Par exemple, les travaux de Pierre Merle (2014) sur L’évaluation des élèves révèlent qu’une même copie peut recevoir des notes variant de 6 à 8 points sur 20 selon les enseignants.
Ces écarts s’expliquent par des biais tels que :
- L’effet de halo : l’apparence de la copie (propreté, écriture) influence la note.
- L’effet d’ordre : une copie corrigée après une série de mauvaises copies tend à être mieux notée, et inversement.
De plus, les études de Nicole Mosconi (2017) mettent en lumière l’impact des stéréotypes de genre.
Par exemple, les filles sont souvent mieux notées en français, tandis que les garçons bénéficient d’une indulgence inconsciente en mathématiques, renforçant des stéréotypes profondément enracinés.
Les travaux de Marie Duru-Bellat (2004) montrent également que l’école joue un rôle dans la reproduction des inégalités sociales et de genre, et que le système de notation peut contribuer à figer ces disparités en donnant l’apparence d’une évaluation méritocratique, mais biaisée.
Enfin, Georges Felouzis a démontré l’existence d’un « effet établissement », où un même élève voit ses notes varier selon l’école qu’il fréquente. Cette constatation remet en cause l’équité du système.
Quand les notes fragilisent l’estime de soi
Confondre performance et valeur personnelle
La note, conçue à l’origine comme une mesure ponctuelle de performance, se transforme insidieusement en un jugement global sur la personne.
Les enfants, dès l’école primaire, commencent à associer leurs résultats à leur identité : « J’ai eu 5/20, donc je suis nul », « Elle a eu 18/20, elle est plus intelligente que moi ».
Les recherches de Martinot et Nurra (2013) montrent comment cette confusion peut miner durablement l’estime de soi. En intégrant leurs notes comme des traits immuables, les élèves adaptent leurs comportements et ambitions à ces évaluations, souvent au détriment de leur potentiel.
Un cercle vicieux destructeur
Les travaux de Baumeister et al. (2003) détaillent le mécanisme par lequel les mauvaises notes déclenchent un cercle vicieux :
- Une mauvaise note est interprétée comme un jugement sur la valeur personnelle.
- Cette perception érode la confiance en soi.
- L’anxiété augmente face aux prochaines évaluations.
- Les performances chutent.
- Les nouvelles mauvaises notes confirment la croyance d’être « mauvais ».
Les travaux de Pascal Bressoux (2018) sur l’étiquetage scolaire confirment ce processus. Selon lui, les jugements portés par les enseignants ne se limitent pas à une évaluation ponctuelle, mais participent à la construction des inégalités scolaires. Les élèves, en intériorisant leurs notes comme des vérités immuables, adaptent leurs comportements et leurs aspirations à ces évaluations, souvent en se censurant eux-mêmes.
Ces mécanismes ne s’arrêtent pas aux murs de l’école : à l’âge adulte, ils peuvent influencer l’ambition professionnelle, l’estime de soi et même la capacité à se projeter positivement dans l’avenir.
Réfléchir à des alternatives
L’évaluation par compétences
Cette méthode propose de décomposer les apprentissages en compétences spécifiques et de valoriser les progrès.
Par exemple, au lieu d’annoncer un « 12/20 » en rédaction, l’enseignant peut indiquer que l’élève a progressé en orthographe et dans l’organisation de ses idées, mais qu’il reste des points à travailler sur l’argumentation.
Cette approche :
- Met en lumière les progrès réalisés.
- Évite de réduire la performance à un chiffre.
- Favorise une vision dynamique et encourageante de l’apprentissage.
C’est ce système d’évaluation par compétences que nous avons décidé de mettre en place dans les écoles que nous avons créées. Les élèves se sont emparés rapidement de cette façon d’évaluer le travail et
Les résultats ont été très positifs chez les élèves, notamment en renforçant leur estime de soi.
En valorisant les progrès spécifiques et en mettant l’accent sur le développement individuel, les élèves se sentaient davantage acteurs de leur apprentissage, ce qui réduisait leur anxiété face aux évaluations.
Cependant, cette approche a parfois rencontré des résistances du côté des adultes.
Certains parents, habitués à l’évaluation chiffrée, avaient du mal à interpréter les progrès de leurs enfants sans repères traditionnels.
De même, certains enseignants éprouvaient des difficultés à adapter leur mode de fonctionnement, notamment en raison de la nécessité d’une transformation de leurs pratiques pédagogiques et de ce qu’ils avaient toujours connu en tant qu’enseignant mais aussi en tant qu’élèves.
L’évaluation formative
L’évaluation formative se concentre sur l’accompagnement des apprentissages.
Comme le montrent les travaux de Dominique Bucheton (2009), elle valorise le processus et la progression plutôt que le résultat final. Elle repose sur :
- Des retours précis et constructifs.
- Une collaboration entre enseignant et élève pour fixer des objectifs d’amélioration.
- La mise en avant des efforts et stratégies plutôt que du résultat brut.
Les recherches de Carol Dweck (2016) sur les mentalités montrent également qu’un système de notation axé sur les résultats fixes encourage une « mentalité fixe », où les élèves croient que leurs capacités sont figées. À l’inverse, une évaluation formative favorise une « mentalité de croissance », où les élèves se concentrent sur le développement de leurs compétences et leur progression.
Un enseignant de collège témoigne : « Depuis que j’utilise l’évaluation formative, mes élèves osent plus poser des questions. Ils ne craignent plus de se tromper, car ils savent qu’on travaille ensemble pour progresser. »
L’évaluation par contrat de confiance
André Antibi (2007) propose une évaluation par contrat de confiance (EPCC), où les critères d’évaluation sont clairement expliqués en amont, réduisant ainsi l’anxiété des élèves. Cette méthode a montré des résultats probants, notamment chez les élèves en difficulté.
Pour une école bienveillante et exigeante
Les travaux de Jean-Pierre Terrail (2016) rappellent l’importance de maintenir un haut niveau d’exigence intellectuelle, tout en adaptant les méthodes pour réduire les inégalités et offrir à chaque élève une chance équitable de progresser.
De même, Agnès van Zanten (2009) souligne que l’évaluation joue un rôle central dans les stratégies des familles et dans la construction des trajectoires scolaires. Pour que l’école soit réellement un outil d’égalité, il est nécessaire de repenser ces pratiques d’évaluation, souvent perçues comme inéquitables.
Il est urgent de réinventer l’évaluation scolaire pour qu’elle cesse d’être un facteur de stress et de stigmatisation. Loin de se contenter d’adoucir les exigences, il s’agit de repenser l’évaluation comme un outil d’accompagnement.
Une école bienveillante n’est pas une école laxiste, mais une école exigeante qui valorise chaque élève dans ses progrès et l’aide à dépasser ses limites.
Les alternatives existent, et les exemples montrent qu’elles sont viables.
Il reste à franchir un cap collectif pour que les notes ne soient plus un frein, mais un tremplin vers l’avenir.
Sources bibliographiques :
Antibi, A. (2007). Les notes : la fin du cauchemar.
Baumeister, R. F. et al. (2003). Self-esteem: The puzzle of low self-regard.
Bressoux, P. (2018). Comment les évaluations et les jugements des enseignants participent à la construction des inégalités scolaires.
Bucheton, D. (2009). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés.
Duru-Bellat, M. (2004). L’école des filles : quelle formation pour quels rôles sociaux ?.
Dweck, C. (2016). Mindset : The New Psychology of Success.
Felouzis, G. (2013). L’analyse des inégalités scolaires.
Martinot, D., & Nurra, C. (2013). Le soi et la connaissance de soi.
Merle, P. (2014). L’évaluation des élèves : une modélisation interactionniste des pratiques professorales.
Mosconi, N. (2017). Genre et éducation des filles : Des clartés de tout.
Terrail, J.-P. (2016). Pour une école de l’exigence intellectuelle.
Van Zanten, A. (2009). Choisir son école. Stratégies familiales et médiations locales.
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